Spectres politiques

Image de Vitor Pinto

Nicolas Maurice
par Nicolas Maurice
6 min de lecture

Catégories

Sujets

Table des matières

  1. Introduction
  2. Un spectre classique limité
  3. Une représentation à deux dimensions
  4. Conclusion

Introduction

Un spectre politique, appelé aussi échiquier politique, est un système de classification des idées et acteurs politiques. Cette représentation est une analogie au spectre lumineux, qui décompose la lumière visible en une continuité de couleurs.

Spectre de la lumière visible

Dans sa forme la plus classique, le spectre politique est un simple axe gauche-droite sur lequel on positionne les idées ou partis politiques.

Spectre politique classique

On attribue aussi les places dans la plupart des assemblées législatives en fonction du positionnement déclaré sur cet axe des partis d’appartenance des élus. Par exemple, l’image ci-dessous représente le Parlement Européen pour l’exercice 2019-2024.

Parlement Européen 2019-2024

Chaque parti se voit assigné une couleur en fonction de son positionnement sur le spectre politique gauche-droite.

Ces classifications peuvent varier d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre. Les positions sur le spectre sont donc relatives. Par exemple le programme de Joe Biden, le nouveau président élu des États-Unis, correspond aux idées de la gauche modérée dans son pays, mais serait plutôt considéré comme centre droit sur le spectre français1 2. De même, cette classification dépend également de l’époque considérée.

Un spectre classique limité

L’origine de cette distinction vient de la Révolution française :

[Elle provient de] la position géographique des différents partis politiques dans l’Assemblée nationale d’aout-septembre 1789. Lors d’un débat sur le poids de l’autorité royale face au pouvoir de l’assemblée populaire dans la future constitution, les députés partisans du véto royal (majoritairement ceux de la noblesse et du clergé) se regroupèrent à droite du président de l’assemblée constituante (position liée à l’habitude des places d’honneur). Au contraire, les opposants à ce véto se rassemblèrent à gauche sous l’étiquette de “patriotes” (majoritairement le Tiers état).

Gauche et droite en politique, Wikipédia

On associe à chaque direction de l’axe certaines idées plutôt que d’autres. Par exemple on associera plutôt la régulation du marché à la gauche, et sa dérégulation à la droite.

On remarque cependant très vite les limites d’une telle classification. En effet, où placer par exemple les idées d’un Henry David Thoreau, naturaliste et philosophe américain du 19è siècle ?

Henry David Thoreau

Promouvant à la fois des idées considérées “de gauche” (non-violence, pacifisme, désobéissance civile, écologie, non-ségrégation, etc.) et “de droite” (réduction des impôts, limitation du rôle de l’état, individualisme, libre-échange, etc.), il peut difficilement adhérer à une des deux catégories.

Et plus des idées nouvelles se développent, notamment après la Seconde Guerre mondiale, plus il devient compliqué de classer les positions politiques.

Une première idée, historiquement, a été de ne considérer que certaines idées “marqueur”, comme le rôle de l’état, et de classer les partis politiques selon ces marqueurs. Seulement ils sont très arbitraires et ignorent les écarts induits par les autres idées. Deux partis se retrouvaient alors proches sur le spectre, car proches sur une idée marqueur, mais différaient largement sur d’autres points.

Une seconde idée a été de faire une sorte de moyenne. Plus on défendait des idées d’un côté du spectre, plus on se rapprochait de cette extrémité. À l’inverse, plus on défendait des idées des deux côtés, plus on s’approchait du centre. Cette approche, toujours utilisée aujourd’hui, présente plusieurs problèmes :

  • On observe une régression vers la moyenne : les partis ont tendance à se “tasser” vers le centre, car des positions extrêmes sont souvent compensées par d’autres, plus modérées. Il est donc plus difficile de les distinguer.
  • Il devient difficile de distinguer les partis qui se trouvent au centre, car ils ont des opinions modérées sur tous les sujets, et ceux qui y sont, car ils défendent des idées extrêmes de chaque côté. Ainsi, pour caricaturer, un parti ayant à la fois des idées d’extrême gauche et d’extrême droite serait considéré comme entriste, au même titre qu’un parti qui défend un “compromis” pour chaque question.
  • Un parti défendant une position de gauche sur une idée A et de droite sur une idée B se retrouve au même point qu’un parti défendant l’inverse, c’est-à-dire une position de droite sur l’idée A et de gauche sur l’idée B. Même point alors qu’ils s’opposent autant que deux extrêmes.

A ce stade, on pourrait se demander : mais pourquoi donc s’embêter avec une classification ?

C’est tout simplement plus facile de comparer les positions ainsi.3 Comparer différents partis en analysant leurs positions sur chacune des idées politiques demande beaucoup de temps et ne permet pas de savoir facilement lesquels sont proches les uns des autres ou, en tant que citoyen, les plus proches de mes idées. C’est également un outil utilisé par les politologues et sociologues pour mener des études.

C’est là qu’entrent en jeu différents politologues à partir des années 1950. Ils vont commencer à classer les positionnements politiques non plus sur une ligne, à une dimension, mais sur un plan à deux dimensions, avec un axe horizontal et un axe vertical.

Une représentation à deux dimensions

Il existe plusieurs représentations de la politique sur un graphique à deux axes. L’idée est d’identifier deux composantes majeures sur lesquelles s’articulent les idées.

Le système à deux dimensions le plus utilisé est dérivé de celui de Hans Eysenck, un psychologue britannique d’origine allemande, étudiant les positions politiques au Royaume-Uni dans les années 50. Il était intrigué par les similarités observées entre les positions communistes et nazies, pourtant opposées aux extrêmes sur l’axe traditionnel gauche-droite.

Hans Eysenck

Il a alors analysé les discours et tracts politiques britanniques et a identifié deux axes sur lesquels les idées variaient le plus :

  • Un axe économique, allant de collectiviste à individualiste
  • Un axe social, allant de libertaire à autoritaire

Quadrant 1

Cette échelle a notamment permis de classer les candidats aux trois dernières élections présidentielles américaines 4 5 6 :

Quadrant USA

D’autres axes ont été proposés par divers politologues au fil des années, comme :

  • Le commerce extérieur, allant de protectionniste à mondialiste
  • La représentativité, allant de démocratique à oligarchique
  • Les traditions, allant de progressiste à conservateur
  • L’implication des religions dans la gouvernance de l’état, allant de laïque à théocratique
  • La politique étrangère, allant d’isolationniste à interventionniste
  • Le degré d’intervention de l’état, allant de totalitaire à anarchique (proche de l’axe social du modèle d’Eysenck)
  • Etc.

Conclusion

Je trouve intéressant de considérer ces représentations, qui ont le mérite de nous rappeler que le spectre politique est plus complexe qu’il semble à première vue. Et pourquoi ne pas, aux prochaines élections, lister les axes qui nous importent le plus et nous placer sur ceux-ci pour ensuite nous comparer avec les différents candidats ? Dépasser le simple clivage gauche-droite peut nous permettre de mieux choisir pour qui voter, mieux visualiser le paysage politique de notre pays et mieux connaitre nos propres opinions.

  1. Wikipedia contributors. (2020, 28 octobre). Centre droit. Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Centre_droit 

  2. Chelini-Pont, B., & Kesselman, D. (2020, 29 octobre). Fact check US : Est-il vrai que « dans un autre pays que les États-Unis, Joe Biden ne serait pas dans le même parti que la gauche démocrate » ? The Conversation. https://theconversation.com/fact-check-us-est-il-vrai-que-dans-un-autre-pays-que-les-etats-unis-joe-biden-ne-serait-pas-dans-le-meme-parti-que-la-gauche-democrate-149024 

  3. Heywood, A. (2017). Political Ideologies : An Introduction (6e éd.). Red Globe Press. 

  4. The Political Compass. (2018, 11 février). The US Presidential Election 2020 : Last Lap Reflections. https://www.politicalcompass.org/uselection2020 

  5. The Political Compass. (2018, 11 février). The US Presidential Candidates 2016. https://www.politicalcompass.org/uselection2016 

  6. The Political Compass. (2018, 11 février). The US Presidential Election 2012. https://www.politicalcompass.org/uselection2012